Peut-on encore habiter sur un territoire de “vacances” ?

Les territoires touristiques ont la particularité d’être soumis à une forte saisonnalité de l’activité touristique, sur laquelle repose une part conséquente de leur économie. Par conséquent, ils sont sujets à plusieurs problématiques locales : saisonnalité de l’emploi, difficulté à capter les actifs et ménages familiaux, régulation et encadrement des résidences secondaires et développement de l’offre de logements pour les saisonniers.

Ainsi, on enregistre plus de 3,3 millions de résidences secondaires et logements occasionnels en France, soit 9,5% du parc global de logements. Sont principalement concernées les communes du littoral, des espaces montagneux, mais également les grandes métropoles, enclines à la location courte durée à des fins touristiques. Plus de 350 communes affichent un taux de résidences secondaires supérieur à 70%[1].

Ainsi, ces collectivités doivent œuvrer pour maintenir une activité économique saisonnière propre au territoire, ce qui engendre de devoir loger les travailleurs saisonniers mais également des touristes, et de maintenir une dynamique territoriale pour les acteurs locaux. De fait, la problématique d’une offre adaptée aux travailleurs saisonniers entre en jeu : les communes touristiques doivent trouver un équilibre entre les locations courtes durées pour les touristes et les travailleurs saisonniers, dans un contexte d’augmentation du nombre de résidences secondaires (40% des Français désirent acheter une résidence secondaire – 13% en disposent[2]).

Pour répondre à ces enjeux, les politiques publiques nationales et locales entrent en jeu, afin d’apporter des outils et leviers aux collectivités qui peinent à trouver un équilibre autour du logement sur leur territoire : loger les résidents permanents et les travailleurs saisonniers, en complément de l’offre disponible en résidences secondaires.

[1] DATA.gouv : Classement des 25 communes avec le plus fort taux de résidences secondaires 

[2] Etude ELABE pour le Crédit Foncier, 2018

 A la recherche d’un équilibre entre logements permanents et développement économique 

A la croisée de multiples enjeux, les territoires touristiques doivent trouver un équilibre entre l’accès à des logements permanents et le développement économique.

Ils doivent à la fois :

  • Faciliter l’accès au logement,
  • Garantir la résidence permanente et maintenir une population à l’année,
  • Accueillir des travailleurs saisonniers.

Actifs et publics locaux : maintenir une population à l’année

La question de l’accès au logement est essentielle pour les populations vivant à l’année dans un territoire touristique. Dans certains de ces territoires, le manque de logements permanents est prégnant.

Cette faiblesse de l’offre disponible se traduit par [3] :

  • Un taux de vacance de logements dans le parc privé nettement plus bas depuis deux ans (2,1% contre 3,7% en 2020) ;
  • Un ratio du nombre de demandes sur le nombre d’attributions de logements sociaux plus élevé (6,51 contre 5,09 en 2021) ;
  • Un délai d’attente pour l’attribution d’un logement social plus élevé : près de la moitié des demandeurs doivent attendre plus d’un an avant de se voir attribuer un logement social.

Enfin, le logement privé présente le risque de basculer en meublé de tourisme ou en résidence secondaire.

L’ensemble de ces éléments entraînent une prise de conscience de la part des collectivités, qui voient désormais le logement social comme l’un des seuls moyens de faire du logement pérenne sur les territoires touristiques, puisqu’il conserve sa vocation de résidence principale et ce, de manière durable.

Travailleurs saisonniers : assurer le dynamisme économique  

L’équilibre est également délicat à trouver en ce qui concerne l’accueil des travailleurs saisonniers. Plus souvent concernés par des situations de mal-logement ou de suroccupation, ces derniers peinent à trouver des logements abordables, alors même que leur présence est cruciale pour assurer les activités touristiques des zones en tension. 

Les territoires touristiques doivent faire appel à une main d’œuvre majoritairement issue de l’extérieur, ce qui implique de pouvoir proposer suffisamment de logements en période de forte affluence touristique. Cela a pour effet de placer les logements saisonniers en concurrence directe avec les logements touristiques.

Sur le marché, le logement pour les travailleurs saisonniers ne peut rivaliser avec l’offre touristique. En effet, les logements saisonniers reposent sur un montage et une exploitation structurellement déficitaires. N’étant occupés que 4 à 6 mois dans l’année, ils sont sources de risque locatif pour les structures qui en ont la gestion. 

Face au modèle du logement touristique qui est générateur d’attractivité et de lucrativité, le logement saisonnier apparait donc comme un modèle peu rentable. Par ailleurs, la faible capacité d’autofinancement des structures gérant du logement saisonnier explique le manque de développement et de réhabilitation de ces mêmes logements.

 Leviers d’intervention : nos propositions 

Conscients de l’ensemble de ces problématiques, les acteurs locaux de l’habitat présents sur ces territoires (collectivités territoriales, bailleurs sociaux) ont un rôle fondamental à jouer pour maintenir du logement pérenne ainsi que des services de proximité. Pour cela, ils peuvent mobiliser plusieurs leviers d’intervention.

Les leviers d’actions réglementaires

L’encadrement des loyers

Afin d’assurer un suivi et de limiter l’augmentation des loyers dans les territoires sujets à la tension locative, l’encadrement des loyers est un premier outil mobilisable.

Mis en place par la loi ALUR, en 2014, il s’agit d’un dispositif qui s’applique à tous les logements loués au titre de résidence principale au sein des zones d’urbanisation de plus de 50 000 habitants marquées par un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements.

On compte quatre critères d’éligibilité à ce dispositif :

  • Un écart important entre le niveau moyen de loyer constaté dans le parc locatif privé et le loyer moyen pratiqué dans le parc locatif social ;
  • Un niveau de loyer médian ;
  • Un taux de logements commencés, rapporté aux logements existants sur les cinq dernières années, faible ;
  • Des perspectives limitées de production pluriannuelle de logements inscrites dans le programme local de l’habitat et de faibles perspectives d’évolution de celles-ci [4].

Conjointement au dispositif d’encadrement des loyers et afin d’assurer un suivi continu de l’évolution des niveaux de loyers sur les territoires tendus, la loi ALUR a mis en place les observatoires des loyers.

Permettant de mettre en lumière les problématiques présentes sur le parc locatif privé / public, l’observatoire des loyers est un outil important pour les territoires tendus et il alimente la mise en place de politiques publiques locales et nationales.

Les outils de planification urbaine

Les collectivités territoriales marquées par les problématiques spécifiques orientent leurs outils réglementaires d’urbanisme autour du logement locatif social.

Levier de mixité sociale, le logement social est un facteur-clé pour développer l’habitat dans des secteurs touristiques tendus : il s’agit d’une offre de logement qui restera durablement de la résidence principale (et ne basculera pas en résidence secondaire). Son développement permettra donc de maintenir une population locale et de loger des actifs et acteurs du territoire.

Dans ce contexte, les communes peuvent mettre en place des obligations de production de logements en locatif et/ou en accession sociale au sein de toute nouvelle opération de construction. Par exemple, dans certains territoires de montagne qui ne portaient pas la thématique du logement social au cœur de leurs priorités jusqu’à présent, un minimum de 30% de logement social (locatif et/ou accession) dans les opérations importantes du centre-village a pu être défini.

Jusqu’alors, le développement du logement social n’était pas prioritaire sur ce type de territoire, qui n’étaient par ailleurs pas identifiés comme des secteurs à enjeux au sein des zonages des politiques de logements.

Aujourd’hui, le logement social est perçu comme un outil et levier de l’action publique locale et territoriale : les territoires touristiques à la forte tension locative ont tout intérêt à envisager une stratégie territoriale, foncière et de l’habitat autour du développement de logements publics, permettant de capter des publics à l’année et permettant ainsi le rééquilibrage avec les résidences secondaires sur ces territoires.

Les leviers d’actions fonciers

Certaines communes volontaristes ont intégré une logique de long terme, en constituant des réserves foncières.

Face aux prix élevés des logements à l’achat, un autre levier d’action mobilisable concerne l’accession sociale à la propriété. En dissociant le foncier du bâti, le BRS constitue un mécanisme intéressant qui permet à des ménages aux revenus modérés d’accéder à la propriété, en « louant » un terrain pendant une durée de temps prédéterminée, en contrepartie d’une redevance annuelle calculée à l’avance. A l’inverse du PSLA, le BRS est un mécanisme durablement social et abordable, en ce que le prix de revente du logement ne peut pas dépasser des plafonds de prix.

Toutefois, la possibilité de développer du BRS en zone touristique vient questionner la cohérence du zonage qui encadre les politiques du logement avec la tension effectivement observée sur ces territoires. Ainsi, certaines communes très touristiques (comme des stations de haute montagne ou des communes littorales) peuvent difficilement faire de l’accession sociale car elles sont situées en zone B2 ou C et les plafonds de prix de vente ne permettent pas d’équilibrer les opérations.

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[3] Données issues du rapport du CGEDD, de l’IGA et de l’IGF de juin 2022 

[4] Legifrance – LOI n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (1) 

 En conclusion 

La problématique de l’habitat au sein des territoires touristiques est réelle. Plusieurs collectivités expérimentent des dispositifs pour pallier le manque de logements, à travers une meilleure gestion de la production, notamment de logements sociaux, ainsi que par la captation de nouveaux habitants et l’accueil des travailleurs saisonniers. Différents leviers d’action publique sont mis en place : encadrements des loyers, observatoires, dispositifs fonciers, sur les territoires touristiques. Ils permettent de prendre conscience du besoin d’intervenir sur le marché locatif. Ainsi, c’est à travers cette prise de conscience que les mentalités des collectivités évoluent : un nouveau regard sur le logement social est porté grâce à ces outils.

Nous sommes convaincus que le logement locatif social et l’accession sociale constituent un levier pour accueillir les travailleurs saisonniers mais également pour maintenir des habitants à l’année, dans des territoires très tendus. 

 Notre accompagnement 

Chez Aatiko Conseils et Merc/AT, nous combinons nos expertises pour accompagner les territoires touristiques dans l’ensemble de leurs projets, du plus stratégique au plus opérationnel :

On en parle ?

Etienne BALEY
Consultant senior
e.baley[at]aatiko.fr – 07 85 81 38 71

Emmanuelle DURAND
Directrice d’études – directrice Merc/AT
e.durand[at]citadia.com – 06 25 65 45 45