Besoins en logements et programmation

Bien pensées, les politiques de loyers peuvent (presque tout) changer !

On parle souvent de la crise du logement comme d’un grand tout. Une espèce de magma indifférencié où se mélangent pénurie d’offre, loyers trop chers, logements vacants, passoires thermiques et demandes importantes pour certaines typologies. On en oublierait presque que derrière cette expression il y a des leviers précis et des outils. Et qu’entre les mains des bailleurs sociaux, le loyer n’est pas qu’un chiffre sur un bail : c’est un instrument de politique publique.

Un instrument sous-estimé, parfois mal compris, coincé entre les contraintes réglementaires et la peur du changement. Pourtant, bien pensé, il peut devenir un levier décisif à la fois pour loger les ménages modestes dans de bonnes conditions et pour assurer la viabilité économique des organismes qui réhabilitent et font vivre le parc social.

Ces derniers mois, nous avons accompagné plusieurs bailleurs sur des territoires très différents : une métropole régionale où la pression immobilière s’intensifie, des villes moyennes où le parc se dégrade plus vite qu’il ne se rénove, et des territoires ruraux où les équilibres économiques s’étiolent. Partout, la même impression que les politiques de loyers entrent dans les réflexions et que c’est peut-être là que se joue une partie du logement social de demain.

Le règne de la débrouille

Avant de parler d’outils, il faut parler du contexte. Les loyers privés ont flambé, les ménages s’appauvrissent, et le “règne de la débrouille” comme le titrait récemment Le Monde est devenu la norme. On le voit sur le terrain, dans les enquêtes logement, dans les échanges avec les demandeurs : colocation subie, hébergement chez des proches, recherche désespérée d’un toit “à peu près chauffé, à peu près vivable”. Pendant ce temps, les politiques publiques s’empilent, les circulaires s’accumulent, les bailleurs sociaux naviguent à vue entre les injonctions de l’État et les réalités de terrain.

En première ligne, leur mission de loger les ménages modestes dans des logements de qualité relève aujourd’hui d’un numéro d’équilibriste. Entre hausse des coûts de travaux, injonction à la performance énergétique, et injonction tout court à accueillir toujours plus de publics fragiles. Et dans ce grand écart, le loyer est souvent vu comme un paramètre figé, une donnée d’entrée plus qu’une variable d’action, alors qu’il peut être un vrai levier de régulation et de justice.

Un outil pour redessiner les équilibres de peuplement

Dans une grande métropole régionale, un bailleur social a voulu revoir sa politique de loyers pour sortir d’une logique uniforme et désormais en décalage par rapport aux réalités du territoire. Via une Nouvelle Politique des Loyers (NPL), l’objectif est de redessiner certains équilibres de peuplement et de mieux répondre à la diversité des besoins.

Encouragé par une circulaire en début d’année dernière, le principe de la NPL est simple sur le papier : permettre aux bailleurs de moduler les plafonds de loyers à la hausse comme à la baisse selon la localisation, la qualité et la vocation sociale des logements. En pratique, c’est un chantier plus vaste qu’il n’y paraît : il n’existe pas de “recette” universelle ou de table de correspondance toute faite qui puisse faire correspondre le prix du mètre carré et la sociologie du quartier.

La plupart des bailleurs que nous rencontrons ont un réflexe bien compréhensible : « Ça va être lourd », « trop administratif », « trop risqué », « le gain est trop faible ». Et pourtant, quand on s’y plonge vraiment, on se rend compte que ça peut valoir le coup d’y aller.

Nous avons construit une méthodologie en entonnoir pour réfléchir la pertinence et la possibilité d’évolution des loyers en descendant progressivement du macro au micro : d’abord à l’échelle du quartier, puis au groupe immobilier, au bâtiment et jusqu’au logement dans certains bâtiments.

C’est long et cela demande beaucoup d’itérations mais les résultats sont là : plus de 500 logements, pour la plupart hors QPV et en centre-ville, ont vu leur plafond de ressources revu à la baisse (passage du PLUS au PLAI), offrant de nouvelles possibilités d’attribution de logements aux ménages modestes et renforçant la mixité sociale. De la mixité sociale concrète, jusqu’à l’échelle d’un palier.

Ce qu’on retient surtout, c’est que la politique de loyers est un levier d’aménagement du peuplement et non un simple ajustement comptable et que, dans un contexte où la demande explose, cette finesse de pilotage devient un vrai outil de justice spatiale.

Un outil pour financer la réhabilitation sans fragiliser les locataires

Chez deux autres bailleurs, la problématique était différente et traite moins des équilibres de peuplement que du financement de réhabilitations. Le parc vieillit et les coûts explosent, comment alors trouver des leviers économiques sans alourdir la facture des locataires ?

Le droit commun autorise, après réhabilitation, une hausse de loyer jusqu’à 5 % sans accord des locataires, voire davantage avec leur accord, tant qu’on reste sous le plafond réglementaire. Le problème est que bien souvent les locataires en place ne peuvent pas absorber une hausse même minime, beaucoup sont déjà au bord du reste à vivre tolérable. Pourtant, en travaillant finement sur les calculs des APL, en croisant les barèmes et en simulant les impacts logement par logement, on identifie des marges de manœuvre. Une hausse de 6 ou 7 % peut, dans certains cas, être totalement absorbée par l’APL et sans effet sur le reste à charge, à condition de s’y pencher sérieusement et d’identifier les ménages et les logements qui le permettent.

Ce travail met d’ailleurs aussi en lumière une autre réalité : la sous-occupation. Ces logements où une personne seule occupe un T4, où le loyer reste élevé au regard des revenus, et où toute évolution de loyer est impossible à tenir pour le locataire. Identifier ces situations permet de flécher d’autres actions : mutations, reconfigurations vers des typologies plus petites dans le cadre des réhabilitations. C’est aussi une manière de reconnecter l’offre et la demande réelles.

Et puis, il y a les cas plus complexes : ces réhabilitations lourdes où le coût des travaux est impossible à amortir sans remettre en question tout l’équilibre de l’opération. Le décret « Seconde vie » de février 2025 amène un peu d’oxygène et ouvre de nouvelles perspectives en offrant la possibilité d’appliquer les références de loyers du neuf à un locataire entrant. Il permet d’envisager des projets ambitieux sur des immeubles anciens… à condition de remplir certains critères, notamment d’ancienneté du bâti et du conventionnement (plus de 40 ans), qui demanderont à être affinés, notamment pour le cas de bâtiments anciens repris par les bailleurs sociaux). Ça ne règle pas tout, évidemment, mais ça montre la nécessité partagée de nouveaux leviers adaptés.

Penser une politique de loyers : une démarche, pas une règle

Ces expériences mises bout à bout dessinent une évidence : le loyer est un outil stratégique. Il peut servir indépendamment ou tout à la fois à accueillir les ménages modestes là où le marché les exclut, à assurer la soutenabilité économique des bailleurs dans un contexte de réhabilitation massive, à rééquilibrer les territoires en corrigeant les effets de polarisation.

Encore faut-il en faire un objet de travail à part entière, y consacrer du temps et de l’énergie et surtout ouvrir une réflexion partagée entre l’État, les collectivités, les équipes du bailleur et les locataires.

Chaque territoire a sa logique et chaque bailleur ses contraintes. Mais la méthode, elle, repose sur quelques fondamentaux :

  • Identifier le bon cadre réglementaire et le périmètre pertinent, pour s’intégrer dans la stratégie patrimoniale du bailleur et dans les objectifs de la collectivité/des collectivités
  • Co-construire une méthode pour penser les évolutions, en associant l’ensemble des métiers du bailleur
  • Simuler les plus-values et les limites pour toutes les parties prenantes,
  • Et, surtout, mettre en œuvre une nouvelle stratégie de loyers, adaptée au territoire et soutenable dans le temps.

C’est un sujet éminemment technique à base de grilles, de coefficients, de circulaires. Derrière la complexité des barèmes, il y a un enjeu concret de permettre à chacun de se loger dignement, dans un logement de qualité, durable, à un prix juste. 

On en discute ?

Etienne BALEY

Manager

Carl ABBOUD

Senior manager. Spécialisé en "Stratégie immobilière 360"

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